Le monde du travail évolue et devient complexe, et de manière pas toujours très épanouissante. Désolé de casser l’ambiance à quelques jours des fêtes de fin d’année, mais la réalité est là. On constate sur ces dernières années une vraie dégradation des relations humaines au bureau, une fracturation sociale de plus en plus grande et un rapport au travail et à son entreprise écorné.
D’après le dernier baromètre Empreinte Humaine de juillet 2022, 41% des salariés interrogés se déclarent être en détresse psychologique. Cet autre chiffre (issu de l’Observatoire « Vie au Travail » mené par la Mutuelle Familiale avec Viavoice, Bloomtime et France Info en juin 2022) : 27% des salariés estiment que « la relation avec leurs collègues est devenue plus fragile » et 1/3 ont le sentiment « de moins faire partie du collectif humain de leur entreprise ». Voilà pour les chiffres.
Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, comment réussir à inverser la tendance et à vivre plus sereinement ses relations au travail, à (re)créer du lien tout en valorisant l’individu ? Pour répondre à ces interrogations qui m’animent au quotidien, j’ai rencontré Cécile Willk-Fabia, une formidable formatrice et coach qui accompagne les entreprises, les dirigeants et les salariés à la conduite de changement et au développement personnel. Une vraie source d’inspiration pour moi.
Dans l’excellent magazine People at Work, la journaliste Frédérique Jacquemin parle de « dé-travail ». Elle écrit : « contrairement aux apparences, détravailler signifierait réfléchir à la place du travail dans la vie ».
Une chose est sûre : notre rapport au travail a changé. De « vivre pour travailler », nous sommes passés à « travailler pour vivre ». Et c’est une nuance de taille. Exit l’époque où les salariés acceptaient de cravacher au travail, parfois au détriment de leur santé. Avec les périodes de confinement successives, et les incertitudes grandissantes quant à l’avenir, des questions existentielles ont émergé « Qui suis-je ? Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce qui fait sens pour moi ? … ».
Oui, ce mot SENS est devenu central. Si nous acceptons de travailler, il faut y mettre une raison, un sens. De plus en plus de salariés aspirent à travailler pour un collectif, une organisation qui a des valeurs et les fait vivre en actes concrets, et pas uniquement en grands discours. Les collaborateurs sont aussi en recherche de bien-être, de relations au travail équitables et apaisées.
Des relations saines dans une entreprise saine
« Un esprit sain dans un corps sain », voilà un adage que l’on pourrait appliquer à l’entreprise. Pour qu’une organisation soit performante, 2 facteurs sont indissociables à sa réussite :
le facteur organisationnel (en clair, sa structuration, ses méthodes et gestion de projets qui permettent d’atteindre les objectifs fixés),
le facteur humain (les relations interpersonnelles qui influencent de manière très importante la performance des entreprises)
Lorsque des équipes ne s’entendent pas, il y a une déperdition flagrante d’énergie et de temps qui se concentre sur la résolution des conflits et non plus sur le service aux clients. Dans un secteur de services tel que le tourisme, ce facteur est d’autant plus important que l’expérience et la satisfaction des visiteurs sont indissociables des échanges humains et de la qualité d’accueil reçu.
Et sans parler que des relations dysfonctionnelles placent davantage les salariés en souffrance et augmentent le taux d’absentéisme, le turn-over, etc.
Les ingrédients du bien-être au travail
Pour sécuriser le lien entre les collaborateurs et avec l’entreprise, des pratiques peuvent être mises en place pour favoriser le bien-être au travail, moteur dans la performance des organisations
1/ Travailler l’intégration et fixer des repères
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point » (oui, je suis un peu fétichiste des dictons). Quand on voit que 1 salarié sur 2 envisage de quitter son poste avant la fin de sa période d’essai (étude Mercuri Urval) , on peut se demander s’il n’y a pas un couac dans les process d’onboarding des nouveaux entrants.
Toute personne a besoin de repères quand elle arrive dans un nouvel écosystème : connaître l’organisation de l’entreprise, ses collègues, ses missions et objectifs de travail, les espaces de coopération, etc. Cécile Willk-Fabia est souvent frappée de voir, lors de ses interventions en entreprise, des salariés qui, après 1 mois et demi dans l’entreprise, ne savent toujours pas ce qu’ils doivent faire, avec qui.
L’intégration des salariés passe aussi par fixer et afficher les règles du jeu : à quelle heure je peux partir ou arriver au travail, les codes à respecter (ça commence par exemple par se dire bonjour), les personnes vers qui se tourner pour tel ou tel sujet…Des actions simples à mettre en place pourtant encore peu développées dans les entreprises.
2/ Favoriser l’entraide
L’entraide est un élément important pour créer du lien et un attachement à l’équipe et à la structure. Certaines personnes vont le faire de manière informelle en aidant spontanément un collègue dans le besoin. C’est ce qu’on appelle le travail réel (tout ce que je fais au bénéfice d’un projet plus global, ou pour mes collègues) versus le travail prescrit (ce pour quoi je suis payé).
L’entreprise peut aussi encourager ces synergies en créant des espaces de coopération, dans le cadre par exemple de projets transverses dans lesquels sont mobilisés des collaborateurs d’équipes différentes.
3/ Créer des espaces d’échanges
Plus les personnes trouvent des espaces pour échanger, pour parler, pour se dire qu’elles ne sont pas d’accord, plus on augmente les chances de désamorcer d’éventuels conflits latents et de se réajuster au fil du temps sur des points de tension.
Réunion hebdomadaire, café news, séminaire, voyage d’études…ces temps permettent d’aborder des sujets techniques, mais aussi de faire des points sur le fonctionnement d’une équipe, faire un bilan de santé de l’équipe (comment travaille-t-on ensemble ? Comment on a pu percevoir telle ou telle chose ? Comment améliorer notre fonctionnement ?…). Faire de la régulation est essentiel, mais souvent peu pratiqué dans les organisations.
Le retour d’expérience est aussi très négligé. Par exemple, après l’organisation d’un événement sur un territoire où on va se mobiliser collectivement, les feedbacks, réunions bilan sont rares.
Il y a souvent une pudeur de se retrouver et prendre du temps pour parler de l’équipe, de nous, de notre façon de fonctionner. Et pourtant, cela permet de déminer des sujets qui pourraient amener des éléments de tension.
4/ Valoriser les réussites
Quelle est la dernière fois où vous avez pris du temps individuel et collectif pour vous féliciter de vos réussites pros ? Se focaliser sur le positif, et pas uniquement sur ce que l’on pourrait faire de mieux (un puits sans fond) est un formidable catalyseur de bien-être pour les collaborateurs. Et en prime, il renforce le sentiment d’appartenance. Jeu, set et match !
Alors créez ces temps d’auto-congratulation, communiquez sur les bons chiffres (nombre de visiteurs accueillis, chiffres d’affaires de la boutique, retours de partenaires positifs, commentaires clients, etc.), faites des feedbacks positifs à vos collègues ou vos équipes. Toutes les petites et grandes victoires sont bonnes à prendre !
Le désaccord et l’assertivité, alliés du bien-être au travail
Punchline du jour : « Une équipe où tout le monde serait d’accord, serait une équipe qui finirait par s’ennuyer et s’épuiser» confie Cécile.L’innovation et la créativité naissent du désaccord (encore faut-il qu’il soit bien géré). Cela oblige à se réinventer, à négocier, à trouver de nouvelles pistes. Ce que l’on retrouve après un désaccord est toujours plus intéressant que le consensus mou.
Beaucoup disent « moi je n’aime pas le conflit, je suis toujours d’accord avec tout le monde ». Or, le désaccord n’est pas synonyme de conflit. Il existe des paliers avant qu’un désaccord ne devienne conflictuel. On peut avoir peur du conflit, mais pas du désaccord !
Mais alors, comment affirmer ses idées et ses éventuels désaccords dans l’entreprise ? Entre autres termes, il s’agit ici de développer son assertivité, c’est-à-dire sa capacité à s’exprimer et à défendre son avis sans empiéter sur celui des autres.
1/ Développer son assertivité
Face à une situation qui nous déplaît, ou tout simplement lors d’échanges qui créeraient du désaccord, nous réagissons de différentes manières, et notamment :
En mode paillasson : celui qui dit toujours « oui » même s’il voudrait dire non
En mode hérisson : celui qui impose ses idées, sa vision, de manière souvent agressive
En mode caméléon : celui qui n’ose pas donner son avis, qui est toujours d’accord avec tout le monde
En mode unisson : celui qui arrive à faire respecter ses idées et celles des autres, qui apporte sa contribution pour trouver des consensus
Je vous laisse deviner la posture la plus adéquate pour développer son assertivité…
Pour qu’une relation soit équilibrée et satisfaisante, on a toujours intérêt à négocier, à chercher un terrain d’entente. Y compris avec son manager. La position hiérarchique ne doit pas induire de dire oui tout le temps !
2/ Exprimer ses idées et désaccords
Savoir exprimer ses opinions, ses valeurs, ses émotions, ses besoins et avis divergents renvoie, ni plus ni moins, au respect de soi-même. Si on ne parvient pas à se respecter soi-même, on s’expose à des conséquences parfois désastreuses : manque de confiance en soi, situations subies, parcours professionnel non abouti ou chaotique, dépression, stress….
Alors comment s’affirmer au travail (et dans la vie de manière générale) ? Voilà quelques conseils pratiques tirés de la Communication Non Violente :
Je décris factuellement la situation, sans jugement de valeur. Exemple : hier, pendant la réunion, tu m’as dit « ton dernier post sur Instagram était pas terrible ! »
J’exprime ce que cela a suscité chez moi en terme d’émotion : « Lorsque tu as dit ça, j’ai ressenti une profonde humiliation »
Je propose une solution constructive : « la prochaine fois, je te propose d’en parler en tête-à-tête et de me faire tes propositions de bonification »
3/ L’art de savoir dire non
J’ai toujours eu beaucoup de mal à savoir dire non. Par peur de décevoir, de créer une tension avec l’autre sans doute. Résultat : mon esprit rêve d’être en mode unisson, mais il termine bien souvent en paillasson qui a muté avec un caméléon. Joyeux bazar !
Mais parce que rien n’est figé dans le marbre, et que l’on a tous une part de responsabilité dans les situations, j’ai demandé conseil à Cécile pour savoir comment dire non sans se liquéfier sur place. Et sans que le non allume la mèche d’un conflit au bureau.
Partons d’un exemple concret : alors que vous avez déjà la tête sous l’eau, votre collègue Martine rentre dans votre bureau et vous demande « peux-tu rédiger ce rapport pour vendredi ? J’en ai besoin assez vite ».
Avant toute chose, il faut être réaliste avec soi-même, être au clair avec ce que l’on est capable d’accepter ou non, ses difficultés et sa charge mentale. Savoir dire non n’est pas une fin en soi. Si dire non me met plus mal que dire oui, il faut se poser les bonnes questions. Je dis non à partir du moment où c’est problématique pour moi.
Avant d’accepter ou non une nouvelle tâche, il faut ensuite évaluer ce que génère en volume temps l’ensemble de ses autres missions pour vérifier si on n’est pas déjà en surcharge. Quand vous faites le calcul, pensez à rajouter toujours un matelas de sécurité entre 40 et 50% par rapport au temps prévu. Ce diagnostic permet d’estimer le niveau de surcharge
Il faut aussi se poser la question de ses propres compétences. Une personne peut sous-évaluer son niveau d’aptitude et se laissait embarquer dans quelque chose qu’elle ne sait pas faire. Il faut donc être honnête et claire avec soi et son interlocuteur.
Une fois les 3 premiers points faits, vient le temps de la négociation pour pouvoir ensuite établir un contrat avec l’autre. On décrit dans quelles difficultés cette demande nous met « je me sens chargée, débordée, pas à l’aise… », que l’on appuie avec des éléments très factuels. On demande des éléments de clarification face à la demande « Qu’est-ce que tu attends de moi concrètement ? Combien de temps ça me prendrait ? Quelle est la deadline ? »
Si le contrat peine à être formulé, il en réfère au manager de prioriser.
Un conflit éclate, panique à bord ?
Soyons honnête, si les méthodes de CNV fonctionnaient à tous les coups, il n’y aurait plus de guerre dans le monde et nous chanterions tous à l’unisson, main dans la main, « We are happy » (je vous laisse imaginer dans les couloirs des bureaux) ! Le conflit ne peut jamais être totalement éradiqué de nos quotidiens professionnels. Reste à nous de réagir comme il se doit pour trouver des solutions de résolution.
En cas de conflit entre deux personnes, on remet à plat, on analyse ce qui a amené au conflit, chacun exprime sa vision (en utilisant les méthodes de CNV que vous connaissez bien maintenant). A partir de cela, on tente de trouver un compromis où chacun prend des engagements
Si les parties-prenantes ne parviennent pas à ce compromis et si la situation devient problématique pour l’activité, c’est alors au manager, ou à un intervenant externe, de jouer les médiateurs. Ce dernier doit s’appuyer sur des éléments factuels pour imposer des espaces d’entente obligatoires. Exemple : pour maintenir l’activité, il faut qu’à ces endroits là, vous puissiez vous entendre. Il analyse avec les 2 personnes concernées les conditions acceptables pour chacune.
Il faut avoir en tête que l’on n’est pas tous fait pour s’entendre. Mais il convient de fixer a minima les règles de politesse, de convivialité au sein du collectif. Les savoir-être sont aussi importants que les savoir-faire en entreprise.
Pour conclure, que cela soit pour s’épanouir individuellement au travail, pour exprimer ses opinions, pour créer des coopérations efficaces dans un collectif, ou pour résoudre des conflits en entreprise, vous l’aurez compris, la clé de voûte reste la COMMUNICATION !
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